Jay, Magheor, Rei, Hankan et Tique étaient donc
parvenus à persuader Maëlle de se lever très tôt et de
les accompagner dans les bois dans le but de faire une
surprise à leur papa. En chemin, les enfants
expliquèrent à celle qui bougonnait dans sa barbe pour
avoir été injustement privée de sommeil réparateur,
que cette surprise consistait à mettre la main sur des
fleurs aux propriétés bien étranges. Peu avant l'aube
et sous certaines conditions météorologiques, ces
Tarjas ou bien encore ces Délices de la Nuit comme
elles étaient appelées, laissaient perler le long de
leurs pétales un liquide délicieusement odoriférant
dont l'injection sous cutanée promettait de planantes
évasions spirituelles, de douces sensations
psychédéliques ainsi qu'un état de bien être
euphorique. Ce qu'adorait par dessus tout Springman.
- Il faut faire vite, ordonna Jay. Le soleil va
bientôt se lever et on a toujours pas trouvé de
Tarjas. N'oubliez pas que liquide perd de toute son
efficacité s'il touche le sol avant d'être recueilli.
Mais tandis qu'ils venaient de traverser un talus, Jay
en tête et Maëlle fermant la marche, tous furent
submergés par une vague d'odeur pestilentielle qui
rappelait celle de la charogne.
- POUAH ! se plaignit Hankan. C'est quoi l'origine de
cette saleté ?
- Regardez, on dirait que ça vient de par là-bas,
indiqua Rei d'un mouvement de tête en direction de
branchages qui étaient secoués sans ménagement à
seulement quelques pas.
Après quelques secondes d'une angoisse et d'une
tension extrêmes, le fauteur de troubles apparut à nos
amis.
- Heu... attendez mais là faut qu'on m'explique laissa
échapper perplexe Magheor alors qu'il plissait les
yeux en regardant le nouveau venu.
Hélas pour lui, personne n'était en mesure de lui
fournir la moindre explication quant à la façon pour
la moins extraordineire avec laquelle la créature se
déplaçait. Puisqu'en effet, celle-ci "marchait" la
tête en bas, ses pieds dirigés vers le ciel... Et ces
derniers, tout en s'appuyant sur l'air, étaient
déplacés de telle sorte qu'ils suivaient la géologie
terrestre si bien que sa tête rasait toujours le sol
mais sansjamais le toucher. Tout cela semblait réduire
à néant tous les fondements même de la physique.
- Ah, ce qu'il est laid en plus, grimaça Rei.
Rien n'était plus vrai. Cette créature définissait à
merveille la notion de monstre, exactement comme
l'équipe de France de football définit la notion de
victoire. Effectivement, son corps, de forme
humanoïde, n'était qu'un amas de bestioles
grouillantes et rampantes : des bousiers, des
nécrobies, des nécrophores & Co. fourmillaient
frénétiquement sur toute la surface , ne laissant rien
entrevoir de ce qui eût pu ressembler de près ou de
loin à de la chair. En fait, seuls ses yeux furibonds
et glacials étaient visibles.
La présence de ces insectes répugnants n'était pas le
fruit du hasard, mais le fruit d'un pacte conclu
depuis bien longtemps, et que les 2 parties s'étaient
évertuées depuis à respecter pour le bien être de
chacune. Ainsi donc, en échange des pouvoirs
supranormaux que donnaient ces bestioles à leur hôte,
celles-ci se nourrissaient de ses tissus adipeux et de
toutes les protéines qu'il emmagasinait par
l'injection de cadavres.
- C'est Micantecutli, songea Maëlle. Le maître des
Goules.
Toutefois, cela faisait sûrement longtemps que
Micantecutli ne devait rien avoir mangé tant sa
constitution physique semblait souffreteuse comme
atteinte de cachexie. Il devait par conséquent se
dépêcher de passer à table sous peine d'être lui même
dévoré par ses insectes.
- HHHHHHHH..., souffla-t-il.
Pour le malheur de nos amis, à ce souffle fut joint
sans obligation d'achat une odeur âcre de putréfaction
et de moisissures.
- Bon sang, quelle haleine d'étable, s'épouvanta
Maëlle. Je veux bien être tolérante mais là il y a
quand même de l'abus.
Cette puanteur ajoutée à l'aspect tout à fait
repoussant de Micantecutli furent plus que suffisants
pour convaincre les 5 bambins de se carapater bien
vite, Maëlle sur leurs talons.
Cependant, alors qu'ils avaient parcouru près de 200
métres et qui plus est à toute vitesse, ils durent
s'arrêter nets : Micantecutli, en dépit de son
apparente faiblesse physique, se trouvait pourtant
peinardement devant eux, appuyé contre un arbre et
sifflotant joyeusement. Il semblait les attendre là,
eux qui avaient couru aléatoirement à perdre haleine.
- Il est très très fort, se crispa Maëlle.
Reprenant les mots d'une formule célèbre, le maître
des Goules déclara de sa voix enchifrenée :
- Si vous ne venez pas à Micantecutli, Micantecutli
viendra à vous. Je te veux toi, la Maëlle, toi qui a
massacré 5 de mes chers petits. Et contre ces 5 vies,
j'en prendrai 5 en plus de la tienne car poire pour
poire, marteau pour marteau.
Bien que n'ayant pas compris cette argutie, notre
héroïne, de son ton le plus obséquieux, adjura
instamment Micantecutli d'épargner les 5 enfants.
- TSK !TSK ! Que nenni, brocarda-t-il. Je vous veux
tous et sur le champ...
De l'abdomen du démon sortit alors une longue radula
fourchue, verruqueuse, encombrée par endroits de
monceaux de champignons semblables à de vieux brouets,
et qui se déroula tel un fouet pour aller
s'entortiller autour de Jay. Puis en un éclair,
Micantecutli l'attira ainsi vers son ventre et essaya
de l'y enfoncer en le pressant de toutes ses forces
provoquant alors des râclements bouillonnants comme
quand on marche dans de la vase.
Personne n'avait eu le temps de réagir. Seules des
lucilies, excitées par ce mouvement brutal
annonciateur d'un futur festin, virevoltaient et
bourdonnaient tout près de Jay dont les 2 jambes et
une partie du tronc étaient déjà entrés à l'intérieur
de la créature.
- Arrêtez ça ! gronda Maëlle. Ou j'appelle
Springman...
- Springman ? sourit Micantecutli. Avec toutes les
Tarjas que je lui ai apportées, il n'est pas prêt de
sortir de sa transe...
- Mais t'es pas bien dans da tête ! Faut pas faire
ça...
- Oh non... oh ben zut alors, v'la t'y pas que je vais
me faire engueuler maintenant, rit de bon coeur le
Frisky.
- Mais si voyons, c'est mal ce que tu fais, poursuivit
Maëlle. Il n'est pas permis à qui que ce soit d'ôter
la vie à autrui, c'est un bien trop précieux qu'offre
le destin. Pourquoi donc faire de cette vie un enfer ?
Pourquoi cet attrait pour la haine ? Pourquoi ne pas
plutôt vivre dans une simple communion, mère de toutes
les valeurs saines, et jouir de chaque instant ? Et
puis pourquoi...
- Pfffffff..., t'as pas bientôt fini ta logorhée, le
coupa Micantecutli. Tu m'embêtes. Je vais encore mal
digérer et me sentir ballonné.
Notre héroïne n'était pas aussi stupide qu'elle
semblait le montrer. Elle avait su dès le départ que
ses paroles pour un monde meilleur seraient vaines vis
à vis du Frisky. Aussi avaient-elles un objectif
purement dilatoire. Car du coin de l'oeil et grâce à
sa vivacité d'esprit, elle avait aperçu Magheor, Rei,
Hankan et Tique se rassembler et unir leurs mains tout
en prononçant un flot de paroles inintelligibles. Elle
avait soupçonné dès lors que Springman leur avait
inculqué quelques tours de sorcellerie.
Et elle avait raison. Micantecutli, amusé par Maëlle,
avait stoppé son ingestion et ne remarqua pas non plus
la boule de feu qu'avait créée les 4 enfants et qui le
frappa en pleine tête. Durement atteint, il dut lacher
sa proie et durant un bref instant, tous les insectes,
effrayés, se séparèrent de son enveloppe charnelle de
telle sorte que nos protégés eurent le temps de voir
que ce corps n'était que de la cellulite, rien d'autre
que de la cellulite, restes retraités de tous les
cadavres dévorés...
Nos jeunes amis crurent bien avoir vaincu.
Malheureusement pour eux, le corps, si l'on peut dire,
de Micantecutli se reconstitua, et dans une furie
totale, aveugle, il projeta une décharge électrique
vers Tique.
Une décharge électrique que reçut de plein fouet
Maëlle qui, dans un instinct maternel, s'était
déplacée afin de servir d'écran à Tique. Elle fut
envoyée 20 mètres plus loin. Ecrasée contre un tronc
d'arbre. Plongée dans un profond coma...