dimanche, avril 25, 2004

Chapître 25 : Un nouveau départ

Allongée à même le sol, Maëlle revenait péniblement à elle. A l'orée de sa conscience résonnaient encore les terribles cliquetis des outils des Goules dont la cadence rapide et violente lui rappelait la double pédale de Rhino, le batteur de Manowar. Tandis que les derniers bans de brume de son sommeil se dissipaient petit à petit, une révélation lui vint du fin fond de son esprit. Elle sut alors qui était le maître des Goules. Il se nommait Micantecutli, le puissant seigneur des morts chez les Aztèques et les Mexicains.
Celui qui selon leurs légendes se déplaçait la tête en bas et moissonnait les morts la veille de la Toussaint dans l'unique but de les dévorer et de déverser 6 mois plus tard leurs restes en guise d'offrande à Nepauz-Had, la déesse Lune vénérée du temps de l'ancienne Egypte. Maëlle comprit tout ceci alors qu'elle n'avait jamais lu quoique ce soit ayant un rapport direct ou indirect avec les croyances
précolombiennes. C'était comme si une voix intérieure lui avait inculqué de force cette vérité en partie effrayante. D'autant plus effrayante d'ailleurs que ces connaissances ne purent lui dissimuler le caractère vindicatif de Micantecutli qui s'occupait personnellement de tous les assassins de ses nervis en leur promettant une longue et invraisemblable agonie.
Et à la simple perception furtive de cette confrontation promise, Maëlle sortit brusquement de sa léthargie et ouvrit les yeux. Elle se sentait lasse comme jamais elle ne l'avait été, vide de toute énergie. Elle ne parvenait pas à mettre de l'ordre dans ses idées, tout était flou et confus comme au lendemain d'une beuverie. Malgré ses efforts, elle ne put se souvenir de ce qui avait suivi l'instant où les Goules l'avaient hypnotisée, mais elle éprouvait un étrange sentiment, comme si son esprit se refusait à s'avouer à lui-même ce à quoi il avait assisté et ce à quoi il ne pouvait croire pour non conformité humaine.

Tout en déglutissant pour chasser un détestable goût métallique qui imprégnait sa bouche, elle se mit sur son séant. Les yeux exhorbités exprimant un profond dégoût, elle découvrit alors avec horreur qu'elle baignait dans une mare de sang ayant pour écueils des monceaux déchiquetés encore fumants de cartilage et de viande grasse exhalant une odeur aigre d'équarissage. Plaqués contre les parois des rochers, Maëlle distingua des organes lacérés parcourus d'ultimes spasmes comme dans une tentative désespérée pour maintenir en vie un corps qui pourtant n'était plus. Dans les arbres étaient nichées des carcasses éventrées d'où dégouttaient dans un glouglou à la régularité déplacée et agaçante des substances vitales devenues inutiles. Mais le plus terrible résidait dans le fait que de ces carcasses pendouillaient
misérablement des chapelets d'intestins balancés par le vent comme pour imiter dans une dernière ironie le mouvement d'une pendule égrenant un temps dont ils n'auraient plus à se soucier. Ce spectacle funèbre donnait l'impression d'une autopsie qui aurait mal tourné.

En dépit de tout ce qu'elle avait déjà enduré, Maëlle fut prise de secousses nauséeuses. Cependant, puisqu'elle n'avait rien mangé depuis bientôt 4 jours, elle n'avait rien à vomir si ce n'était un brûlant filet de bile qui lui fit arracher un gargouillis étouffant. Terrifiée, Maëlle n'osait faire un seul mouvement. Quand du coin de l’œil, elle perçut un mouvement. Il s'agissait de Menthalio qui venait dans sa direction tout en lui faisant signe de la main. Afin de s'approcher de sa maîtresse sans se salir les pieds dans ce sang vaseux, le psycho se servait de ce qui faisait office d'écueils comme d'un gué naturel. Pourtant, bien qu'il sautait de l'un à l'autre avec une agilité certaine, il faillit bien perdre l'équilibre en posant le pied sur un crâne décharné.

Mais alors qu'il semblait avoir fait le plus difficile dans son parcours, le psycho, parangon de tout ce qui est déconcertant et imprévisible, abandonna l'idée des écueils et opta pour avancer et patauger dans ce liquide insalubre où il était très pénible de progresser en raison de tous les pièges organiques gluants qu'il recelait. Néanmoins, il parvint jusqu'à Maëlle.

- Moi t'apporté à manger, yep, yep, s'exclama-t-il.

De facto, il sortit de son sac en bandoulière une dizaine de fruits juteux, 4 petits animaux ressemblant à de tendres et mignons chatons âgés de 2 semaines, mais également des noix de coco qu'il avait consciencieusement coupées en 2 et remplies d'eau. Maëlle ne prit même pas la peine de le remercier et s'empara avec voracité de tous ces produits qu'elle faisait disparaître dans sa bouche en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire. Elle bâfra. Et au fur et à mesure que sa panse se remplissait, elle sentait sa constitution se raffermir à vitesse grand V. S'essuyant le menton du revers de la manche, elle regarda Menthalio. Certes, ce n'était pas le genre d'accointances dont elle avait rêvé et dont elle se vanterait plus tard, mais devant la sollicitude qu'il montrait à son égard, elle était prête à faire preuve de mansuétude et à accepter sa présence qui la rassérénait même si cela incluait évidemment de devoir supporter la verdeur de ses paroles. Après tout, c'était bien peu de choses en comparaison de tout ce qu'il pouvait lui apporter. D'ailleurs, elle souhaita le remercier sincèrement pour son aide mais se dispensa de l'embrasser. Elle se contenta de lui serrer ses mains calleuses aux ongles atteints d'onyxis. Puis elle lui demanda :

- Où as-tu trouvé cette nourriture ? J'ai beau me tourner de tous les côtés, je ne vois que misère et abandon.

- Toi me suivre, yep, moi te montrer, s'enflamma le psycho l'invitant à le suivre. Bon endroit de sécurité pour toi.

La Belle et la Bête partirent donc de ce lieu qui paraissait avoir été l'objet d'une raspoutitsa localisée, et arrivèrent après une courte marche devant une muraille à l'aspect surnaturel. Maëlle fut surprise de constater que cette très haute muraille, dont elle ne voyait pas les extrémités ni à droite ni à gauche, était parcourue d'étincelles bleutées d'électricité statique et n'était pas faite de matière solide. C'était plus un genre de voile ou un champ de force. Le plus troublant toutefois, et malgré l'opacité de cette barrière d'énergie, était que Maëlle était sûre de discerner que de l'autre côté se trouvait un monde tout à fait différent, même s'il était la continuité de celui dans lequel elle était présentement. En fait, il semblait que par delà la
barrière le soleil brillait, que subitement le sol devenait fertile et que la paix se substituait à l'hostilité.

Menthalio expliqua à sa maîtrese que derrière la muraille existait un domaine qui était l'oeuvre de Springman. Nul ne connaissait ses origines mais ce qui importait était que c'était un adversaire de Hominéral et par conséquent un allié éventuel. Par sa magie, Springman créait des espaces comparables à la Terre mais où le danger n'était quand même pas exclu. Et c'était justement dans cet espace que Menthalio avait trouvé la nourriture. Cependant, compte tenu de sa condition de psycho, il ne pouvait supporter longtemps un lieu tel que celui-ci, si bien qu'il encouragea Maëlle à y aller seule en lui promettant qu'il la retrouverait si elle décidait d'en sortir.
Ainsi donc, en dépit de son récent attachement à Menthalio, Maëlle le quitta et pénétra ce champ de force. Elle découvrit un monde nouveau et inattendu.