vendredi, avril 30, 2004

Chapître 30 : Horreur : définitions

Les Métal Warriors et les villageois de Tungwatdon
avaient donc entamé la traversée du Territoire
Pourpre. Ils progressaient vers l'ouest, vers les
Collines Chauves au bas desquelles passait la rivière.
Plus précisément, cela signifiait que cette rivière
empiétait sur le territoire de Biff en un lieu que
lui-même fréquentait rarement étant donné qu'il était
de coutume de rentrer chez lui par l'est. Ce qui d'un
certain côté était une bonne chose puisque Biff,
militant acharné du Parti du Moindre Effort, n'avait
pas pour habitude de s'embarasser et déversait donc
ses victimes le plus près possible de l'entrée. Il
fallait par conséquent un surplus de cadavres pour
qu'il fût amené à entasser ses produits à l'ouest et
ainsi polluer la rivière comme c'était le cas
présentement. Toutefois, le côté négatif de la
situation était que cela impliquait à nos amis de
devoir visiter presqu'entièrement la propriété de ce
malade pour accéder à la fameuse rivière.
Ce dont ils se seraient volontairement passés. Le vent
qui soufflait dans leur direction leur apportait un
air chaud et vicié, et charriait de plus des odeurs de
nécrose et de fiel. Si bien que nos amis eurent bien
du mal à ne pas suffoquer, et il leur fallut un temps
d'adaption avant de poursuivre.
A la vue de cet holocauste qu'aucun acte humain
n'aurait pu occasionner, leurs visages se
convulsèrent, leurs poings se serrèrent et leurs
rythmes cardiaques s'accélérèrent. Ils avaient
l'impression d'être au sein d'une géhenne dont le mal
méprisable qu'elle exsudait était incommensurable, ou
pour le moins incomparable à ce qu'aucun d'entre eux
n'avait déjà connu et ne connaitrait jamais. C'était
un mal semblant issu de la fusion entre les ténèbres
planant sur la fange des premiers âges et de
l'agglomération de tous les stupres spirituels de
l'univers.
Pas un seul centimètre carré du lieu n'était épargné :
partout jonchaient des corps mutilés et complètement
déglingués, des crânes fracassés, des visages livides,
congestionnés et exprimant une douleur dépassant
largement les limites de l'acceptable et du
supportable.
Ici ou là avaient été disposés des amas de chair et
d'os d'où saillaient dans la plus grande confusion des
membres tordus et brisés ainsi que des organes
cisaillés. Ces amas abominables, dont la vision aurait
nécéssité davantage qu'un accord parental
indispensable, et au sommet desquels trônaient des
humains crucifiés et égorgés, tendaient à penser
qu'ils avaient été déposés avec autant de soins
précautionneux que des ordures ménagères jetées en bas
des immeubles dans l'attente d'être ramassées par les
éboueurs.
Notre petit groupe poursuivit malgré tout son chemin
en suivant de bien inquiétantes ornières mais aussi en
pataugeant dans du cruor qui inexplicablement ne
coagulait pas. Quant petit à petit, une plainte tout
d'abord ténue se fit de plus en plus intense jusqu'à
devenir intolérable. Et c'est alors que tout le monde
comprit que quelques corps, pour leur plus grand
malheur, étaient encore tout à fait conscients.
Ceux-ci souffraient mille maux et l'exprimaient à
renfort de gémissements et de cris pitoyables,
suraigus, évocateurs d'une souffrance battant tous les
records du monde. Ces lamentations apocalyptiques
résonnaient aux tympans des chevaliers et des autres,
les perçant presque, et leur procurant la sensation
d'avoir le cerveau embouti par une sarisse ou aliéné
comme l'eût provoqué une myriade de glas obscènes
tonitruant en coeur leur chant funèbre.
Certains parmi le petit groupe se bouchèrent les
oreilles. D'autres, afin de rétrécir leur champ de
vision, se couvrirent le visage des deux mains en
écartant juste deux doigts de telle sorte que seuls
leurs yeux étaient visibles. Mais même ainsi, on ne
pouvait échapper à l'aspect morbide du lieu.
Pris d'une soudaine panique, nos amis pressèrent le
pas, faisant fi des bruits de cartilage se rompant et
de viscères explosant sous leur passage précipité.
Mais tout à coup surgit une main tuméfiée qui agrippa
le pied du dénommé Xor et le fit tomber. Sa figure
atterrit dans un "splash" écoeurant sur une masse
visqueuse, flasque et infecte qui lui entra dans les
narines. Dès qu'il découvrit l'origine de cette chose,
ce fut bien plus qu'il ne pouvait supporter et il
poussa un hurlement d'effroi. Xor venait en effet de
réaliser que sa tête baignait dans les organes d'une
femme morte chez qui on avait fait déclencher une
colpocèle.
Fort heureusement, Xor parvint à surmonter ce choc
assez rapidement. Maintenant, lui et les autres
fixaient le propriétaire de la main malveillante. Il
s'agissait d'un homme à qui on avait arraché les deux
jambes et un bras. Pour se déplacer, il devait donc
ramper sur le ventre selon des mouvements
périlstatiques. Son dos nu était parcouru de
crevasses, signes qu'on l'avait furieusement fouaillé.
Et alors qu'il venait de se retourner, tous purent
apercevoir qu'il avait été émasculé et qu'il était
atteint d'ophtalmie. Dans un effort surhumain et d'une
voix rauque, il demanda un peu d'eau à nos amis.
Horion fut le premier à sortir de l'état cataleptique
dans lequel les avait plongé l'intrusion du
malheureux. Mais alors que le Mélomane lui faisait
avaler une deuxième gorgée, l'estropé fut pris
d'hématémèses et d'expectorations. Puis dans un ultime
suoffle, il cracha sa langue atteinte de glossite.
Quand cette dernière toucha le sol, elle se courba et
se ratatina comme lorsque l'on vient d'écrabouiller
une chenille.
Sans demander leurs restes, nos guerriers repartirent
encore plus vite, habités plus que jamais par l'envie
d'en finir au plus vite. Par bonheur, ils ne tardèrent
pas à apercevoir la rivière. Tout le monde se pressa
de se mettre au travail et d'enlever tous les
macchabées du lit de leur source vitale. C'était un
travail éprouvant, à la fois moralement et
psychologiquement, mais cela devait être fait. Et le
plus vite possible qui plus est afin d'éviter des
ennuis. Evidemment, même en tant que job d'été, cela
n'aurait pas eu un succés fou, sûrement inférieur en
tout cas à la cueillette des framboises ou des
carottes. Mais ils n'avaient pas le choix.
Tandis qu'ils n'en étaient qu'a la moitié, Colinéus et
Irma, la pythonisse de Tungwatdon, eurent des
vibrations précognitives :
- Magnons-nous ! ordonnèrent-ils, Biff arrive ! Il ne
nous reste plus beaucoup de temps.
Le groupe redoubla d'effort, balançant sans respect
les corps afin de ne pas partager leur sort peu
enviable. Ils parvinrent à terminer, et après s'être
assurés de la réussite de l'opération, ils se
dépêchèrent de revenir sur leurs pas.
Mais à bord de son tank-pelleteuse, Biff déboucha de
derrière un enchevêtrement d'os et leur barra la route
en hurlant :
- Ca va saigner ! Je vais tous vous buter ! OUARRR
!...
- Mais que font les deux vengeurs ? s'indigna Guili
pétrifié.
Les chevaliers firent alors face à leurs obligations :
ils se postèrent entre le cinglé et les villageois.
- Nous sommes les Métal Warriors !
- En chantier, je m'appelle Teuse, plaisanta
grotesquement Biff.
- Ha ! Ha ! Ha ! Ce qu'elle est bonne, rigola
Artefact.
- T'es bête ou quoi ?! le gronda Horion en lui
assénant un coup de coude dans l'estomac. C'est pas le
moment de te marrer...
- A l'attaque ! OUARRRRRRRRRRRRRR...