jeudi, avril 22, 2004

Chapitre 22 : Compte à rebours

Les vibrations qu'avaient détectées Colinéus les avaient conduit d'une part à subir la même courbure d'espace temps que Maëlle et Menthalio précédemment, et d'autre part vers une petite flaque, source de ces vibrations et au dessus de laquelle se tenaient maintenant nos amis.
Après avoir analysé les composants chimiques du liquide, Colinéus en déduisit qu'il s'agissait d'urine, Maëlle ayant éprouvé le besoin de satisfaire ici un besoin bien naturel. Sous le regard éberlué de ses compagnons, Horion sniffa cette mare et y plongea la main comme si de rien n'était.

- Mmm..., réfléchit-il, considérant l'odeur et la température, j'estime que Maëlle était ici il y a un peu moins d'une heure.

- Bêêêrk ! Où-a-t-il bien pu apprendre ce truc ? se demanda Colinéus avec un air de dégoût.


Ainsi confortés d'être sur la bonne piste et désireux de revoir leur femme, les chevaliers se remirent prestement en route. Toutefois, Artefact, semi comateux ne leur emboîta le pas que très laborieusement. Les 2 autres, sous le coup de l'euphorie de leur découverte, avaient presque oublié que son état était parvenu à un stade critique et qu'il nécessitait des soins urgents. Depuis quelques temps en effet, le corps d'Artefact se délabrait de plus en plus rapidement, les larves gagnant en force.

A lui seul, son visage, devenu cireux, témoignait de terribles douleurs : il était émacié, ses traits étaient tirés et sous ses yeux chassieux étaient apparues des poches sombres comme s'il avait porté un masque de Zorro. Qui plus est, il régurgitait des flopées erratiques de glaires épais et jaunes-verts de la consistance du chewing-gum et qui faisaient penser au slime dans "Ghostbusters". Au bas mot, il ne lui restait donc plus que quelques heures à vivre. Et encore ! Malgré tout et fort courageusement, il résistait tant bien que mal, ou en tout cas bien mieux que tout humain ordinaire. Il tentait de ne pas faire transparaître la torture toujours plus grande que lui infligeait le moindre mouvement et de repousser toujours plus loin les frontières du renoncement.
Seulement, il n'est de frontières sans limites ! Ainsi donc, après avoir maintes fois trébuché sur ce sol rocailleux, Artefact perdit connaissance et s'effondra. Horion et Colinéus se précipitèrent vers leur ami et regrettèrent amèrement de ne pas avoir pris plus pleinement conscience de la gravité de son mal. Avec un truisme aussi légendaire que sa clairvoyance, Horion fit remarquer :

- Je crois bien qu'il est très malade...

Ils portèrent le malade, donc, à l'ombre d'un arbre puis réfléchirent sur la suite des opérations.

- Je crois que la meilleure chose que nous pouvons faire est de trouver un psycho comme l'a suggéré Lovecraft dans sa faconde, proposa Colinéus.

- Mais on le sait déjà ça ! s'exclama Horion. Hélas, tu l'as constaté avec moi, on n'en a pas croisé un seul. De plus, je ne pense pas qu'on puisse nous en livrer un sur commande...

- Oui mais ce que je voulais dire, c'est... Ah ! Ce pourrait être préjudiciable bien sûr pour les événements futurs cependant... Si ! C'est tout vu, je vais consacrer 50% de notre énergie restante pour porter au plus haut degré mon acuité psychique afin de détecter un psycho. Toi, de ton côté, reste avec Artefact et protège-le contre d'éventuels assaillants.


- OK ! De toute façon nous n'avons guère le choix, c'est un risque qu'il nous faut courir. Alors vas à la chasse au psycho et bonne chance !
Tandis que le Gardien de la Force s'en était allé, Horion soulagea son ami de ses cnémides et de son plastron poissés de sueur. Afin de mieux mesurer l'étendue des dégâts affectant le corps de l'Érudit, Horion lui enleva ensuite la combinaison moulante que tout Métal Warrior portait sous son armure. Mais il regretta aussitôt son geste, et il ne put supporter très longtemps la vision qui s'offrait à lui. La peau de la jambe gauche et d'une partie de l'abdomen d'Artefact était fripée, comme si elle avait été plongée plusieurs jours dans l'eau ou comme si on lui avait greffé du Jeanne Calment. Par endroit, la peau, pareillement à du vieux blanco découvert miraculeusement et déposé expressément sur une copie lors d'un examen, s'effilochait et s'écaillait, laissant entrevoir autant d'immondices. En d'autres endroits, la chair était si mince qu'elle en était transparente, si bien que l'on pouvait apercevoir du sang circulant péniblement dans les artères ainsi que des muscles en piteux état, des terminaisons nerveuses égarées et des os sur le bord de se disloquer. Tout compte fait, c'était pire que la gangrène et seuls des médecins blasés des urgences auraient pu trouver un intérêt béat à étudier ce corps pourri. Avant de recouvrir son ami de sa combinaison, Horion se rendit compte que les larves progressaient à vue d’œil, impavides et impatientes d'en finir.

- Colinéus, je t'en conjure, dépêche-toi ! supplia le Mélomane.

Un peu plus tard, alors qu'Horion commençait à rêvasser, Artefact sortit de sa somnolence. Sans faire de bruit, il s'empara de sa craie géante et fit le geste de l'abattre sur son camarade. Fort heureusement, celui-ci était resté suffisammant sur le qui-vive et parvint à esquiver ca coup de traître.

- Mais t'es malade ! Qu'est-ce-qui te prend ?

- Tun ÿ kelog blurp Icarios ! répondit l'Erudit.


- Bon sang !!... Il n'est plus lui-même ! constata Horion.

Horion avait vu juste. Effectivement, Artefact était sous l'emprise des larves qui étaient devenues assez puissantes pour le manoeuvrer et le manipuler. Il n'agissait plus de son propre chef, c'était un pantin sous l'autorité des petits d'Icarios. Du reste, il tenta une seconde fois de pourfendre Horion qui eut la bonne idée de se réfugier derrière le tronc d'arbre.

- Que puis-je faire ? soupira le Mélomane. Je ne puis pourtant pas répliquer.

Artefact lui jeta son bouclier à la figure mais Horion le repoussa par une parade impeccable de ses tuyaux. Il n'eut toutefois pas le loisir de souffler car entre-temps l'Erudit avait pianoté sur son ordinateur et avait souri. Des gouttes de sueur perlèrent sur le front du Mélomane quand il lut sur l'écran d'Artefact la formule que ce dernier avait l'intention de lui inscrire : c'était tout simplement le nombre 108. Rien qu'à le lire, ce nombre suffit à étourdir Horion et à encombrer son esprit de souvenirs douloureux. Car il faut savoir que 108 désignait le numéro de la salle où les étudiants de licence de physique devaient supporter hebdomadairement le calvaire dément de la séance des travaux pratiques d'électronique. Cette séance durait 3h30 mais il aurait fallu bien souvent 3 heures de plus tellement il fallait jongler avec des centaines et des centaines de fils, de générateurs, de condensateurs, d'oscillateurs, de résistances et de multimètres à assembler en montages impossibles régis par des théorèmes mathématiques hors de portée du commun humain. De surcroît, il fallait compter sur la surveillance sadique d'un professeur qui mettait sans cesse la pression sur les étudiants en les invectivant, et qui les épiait en quête de la plus anodine des bourdes dans le but de les descendre puis de noter l'anecdote en lettres majuscules sur son Livre d'Or. C'était donc une formule fatale pour Horion car de loin le plus allergique à ces travaux pratiques. Elle ne pouvait marcher que sur lui.
Sa craie brandie en avant, Artefact s'avança vers Horion. Même si ce dernier savait que cette craie ne devait absolument pas le toucher, il ne se résolvait pas à fuir, l'Erudit pouvant se faire du mal à lui-même. Horion était en péril.