mercredi, avril 21, 2004

Chapitre 21 : Maëlle fait son intéressante.

Habituellement, ces créatures ne rôdaient que dans les nécropoles où elles furetaient des tombes dissimulant un bout de gras fraîchement enseveli à déguster. Dans ce cas précis, elles venaient du sanctuaire de Pénétrator, mais consécutivement à ce qui était survenu à ce dernier conjugué à l'intrusion des Métal Warriors, il y régnait une certaine anarchie et c'est pourquoi, bien que cela leur fût défendu, elles s'en étaient échappées. Toutefois, malgré cette évasion, elles n'allaient pas devenir végétariennes pour autant. Loin s'en faut. Car leur condition en tant que
Goules était ainsi établie qu'elles ne rêvaient que de fosses à profaner et de macchabées à se mettre sous la
dent. Elles ne crachaient pas non plus sur la chair vivante. Maëlle était donc en danger.

Le physique de ces nécrophages était d'une telle hideur qu'à lui seul il serait presque parvenu à ressusciter ce qui leur faisait office de repas. Leur corps n'était qu'une grosse masse de poils hirsutes d'où émergeait en son centre un visage dont la blancheur d'ossements contrastait indécemment avec ces poils de la couleur même de l'ombre lors d'une nuit sans lune. Ce visage était pourvu d'un groin charnu et flasque percé de trois narines enduites de substances gélatineuses qui ruisselaient jusqu'à une bouche semblable à une entaille creusée à la hache dans l'incapacité de se fermer en raison de dents démesurées et tordues. Des dents qui de plus étaient maculées d'humus et d'écume effervescente violacée.
Mais cette face de la mort, sortie directement des plus profonds abymes de l'essence même de la Terreur, était également recouverte de monticules de pustules tels des échafaudages à l'équilibre précaire le long de la Tour de Pise. Quant à leurs membres, ils étaient au nombre de quatre, comme chez n'importe quel humain normalement constitué. Mais la ressemblance s'arrêtait là car ces membres arachnéens, qui étaient nés un jour où la pitié avait oublié de se réveiller, n'avaient pour seule mission que de disséquer. Effectivement, à chacune des extrémités était fixé un outil distinct, un outil de boucherie : l'une de ces extrémités était dotée d'une lame si tranchante qu'elle pouvait couper en deux les molécules de l'air, une autre d'un scalpel pour inciser, une troisième d'une pince à encastrer dans les parties du corps les plus intimes et une dernière d'un crochet pour vriller et labourer. Enfin, du corps des Goules jaillissaient un peu partout et par intermittences d'immenses jets gazeux qui
propageaient une odeur de fosse septique.

- Sans doute ne craint-on pas l'effet de serre ici, pensa Maëlle.

De par ces descriptions anatomiques fort peu réjouissantes, Maëlle n'était franchement pas décidée à rester plus longtemps en compagnie de ces monstres.
Aussi voulut-elle imiter Menthalio et s'enfuir au plus vite. Hélas, elle ne put faire un pas car elle était paralysée par la simple volonté hypnotique des yeux des Goules. Des yeux qui, aussi étrange que cela puisse paraître, leur donnaient un aspect bien plus repoussant encore que tout le reste car c'étaient des yeux de malades mentaux et qui, à eux seuls, suffisaient à vous donner la chair de poule. La démence était palpable à travers ces yeux, une démence qui allait bien au-delà de la compréhension humaine mais pas au-delà de l'appréhension humaine. On y lisait que la plus folle des haines, comme si tous les
maux de l'univers étaient rassemblés en ces points globuleux d'une intensité extraordinaire et qui n'avaient pour but que de répandre une horreur et une douleur indicibles sur tout ce qu'ils fixaient. Ce n'est que maintenant que Maëlle saisissait les paroles du psycho mais il était trop tard !
Les Goules émirent un bruit distordu, probablement un ricanement. L'une d'elles adressa la parole à la prisonnière par le biais de sa bouche dont la tonalité stridulante évoquait d'une part la plainte d'un courant d'air s'engouffrant sous une porte, et d'autre part le raclement des dents d'une fourchette sur une casserole en aluminium tandis qu'on s'évertue frénétiquement à faire décoller des pâtes trop cuites.

- Tu nous feras un dessert exquis, dès que nous en aurons terminé avec ça.

Alors la Goule et ses 4 congénères s'abaissèrent de nouveau vers le tuyau qui n'en était pas un. A cet instant, Maëlle comprit que c'était ou avait été une chenille géante. Ou du moins, quelque chose dans ce genre là. Sa teinte écarlate était dû à son sang qui avait giclé de ses artères au moment où celles-ci avaient été sectionnées par les Goules. La chenille offrait maintenant une vue pitoyable tant elle était démembrée et dépiautée de la façon la plus abjecte qui soit. Et dire que c'était le sort qui attendait Maëlle !

Le temps s'écoula. Afin de montrer leur supériorité, les Goules, toujours très occupées, avaient contraint Maëlle à prendre une attitude de soumission : les bras le long du corps, les jambes légèrement écartées et la tête posée sur le sternum avec les cheveux tombant sur le visage. Après avoir vainement tenté de se libérer de cette puissance hypnotique et espéré une aide courageuse de Menthalio, Maëlle s'abandonna au désespoir. Les Goules, qui ponctuaient leur ripaille de rots interminables à soulever le cœur, tournaient de plus en plus fréquemment la tête vers Maëlle, son heure approchant.

Le temps s'écoula encore. Maëlle était toujours inerte. Une brise se leva. Une douce brise drainant des souvenirs encore plus âgés que ceux des livres d'histoire, une brise d'un passé immémorial. Une douce brise cependant car elle était accompagnée d'un désir avide de tueries. Les Goules, alertées, stoppèrent leurs gestes macabres puis regardèrent autour d'elles, une fugace mais pénétrante inquiétude figea leur face cauchemardesque. Sous ses cheveux ondulés, lavés au shampooing Loréal parce qu'elle le valait bien, et divisés par le vent en de fins filaments duveteux, les yeux de Maëlle se révulsèrent. Elle commença ensuite à psalmodier une étrange incantation d'une voix mélodieuse. Et elle bougea ! Malgré les protestations des Goules, elle bougea ! Elle replia ses doigts de la main droite sur la paume à l'exception de l'index, puis elle leva ce bras de manière irréelle car ce mouvement semblait découpé, comme éclairé par une lumière stroboscopique. Une fois son bras perpendiculaire à son corps, un rayon lumineux et irisé jaillit de son index et atteignit les Goules, interdites, les paralysant à leur tour ! Dans un silence de salle d'attente chez le dentiste, le rayon se répandit entièrement en elles, les contaminant en quelque sorte et leur donnant les couleurs gracieuses
de l'arc-en-ciel. Le flux du rayon s'arrêta. Maëlle leva alors son bras gauche et le juxtaposa au droit, les 2 paumes se tournant le dos. Après, en repliant tous ses doigts cette fois, elle écarta lentement les bras. Dans le même temps, les Goules sentaient leur corps se diviser en 2, séparant d'abord leur chair mettant à vif leurs muscles et leurs viscères et soumettant à rude pression leur charpente osseuse.
Soudainement, Maëlle redressa la tête et les événements se précipitèrent : ses yeux papillotèrent, ses pupilles réapparurent, les nuages plus ténébreux adoptèrent une course effrénée, la brise se mua en tempête faisant soulever et claquer les pans de la pèlerine de notre héroïne...

- Pouvoir de la Matrice, guide-moi, tonna-t-elle. An sin tût pulvérak !

Et elle écarta brusquement les bras. Il rettentit alors un bruit liquide et sec quend de concert les organes et les os des Goules se disloquaient et s'éparpillaient alentour comme si on leur avait fait ingurgiter des charges explosives. Tout fut éclaboussé de sang dans un espace de 1000 métres carré.

Maëlle s'écroula, à bout de force.